Le lundi est le jour du mot rare, du mot disparu. Une rubrique que nous aimons faire car elle est amusante, nous cultive et nous rappelle l'évolution de la langue française. Ce week-end, il ne nous a pas été possible de la réaliser. Les conditions n'étaient pas réunies compte tenu des évènements. Il a été longtemps débattu de savoir ce que nous devions faire, exprimer, écrire sur notre site internet. Nous avons choisi la parole.
Tout d'abord, nous sommes touchés, comme chacun, par l'horreur de ces évènements et leurs conséquences humaines. Nous nous associons à la douleur de tous ceux qui ont été frappés par ces attentats.
Nous tenons également à marquer dans le marbre que nos motivations pour créer cette maison d'édition sont des valeurs d'éducation, de tolérance, de culture, de partage et de liberté d'expression. Nous avons choisi de les promouvoir à travers un unique genre littéraire : le roman. D'autres choix étaient possibles, tout aussi respectables. Nous tenons à vous expliquer comment ces valeurs nous guident.
Nous croyons fermement que le roman, qui nous entraîne dans une fiction et nous fait rêver, permet à tous, en respectant la culture de chacun, de nous plonger dans un autre univers propice aux rêves et à la réflexion. Chacun peut ainsi prendre dans sa lecture des idées ou de vivre des émotions qui lui permettront de s'élever vers un autre lui-même plus tolérant, ouvert à la différence, que cette dernière soit culturelle ou de toute autre nature, plus philosophe. Le rêve permet l'évasion, l'utilisation de l'imagination et de la créativité, et donc génère de l'espoir. La réflexion naît de cette confrontation, pacifique, entre le lecteur et une autre vision du monde.
L'objectif avoué de la démarche littéraire, qu'elle soit consciente ou inconsciente, est de partager chez le lecteur un don pour la relativité face à sa propre subjectivité. En un mot, apprendre à favoriser le dialogue entre des personnes différentes par la compréhension réciproque des unes avec les autres.
Au-delà de la barbarie des actes perpétrés par des tueurs sans conscience, ce sont ces valeurs qui sont atteintes. Ce sont nos valeurs et nos idéaux d'éducation et de culture qui sont attaqués. C'est le rêve et la réflexion, l'espoir que l'on essaie d'assassiner. Si demain, Daesh était au pouvoir, il n'y aurait plus de livre, plus d'idée différente, la femme retournerait à l'infériorité à laquelle elle a été cantonnée pendant des millénaires d'histoire, la parole dissidente sera tranchée définitivement : nous serons contraints de vivre dans un désert d'inculture, d'intolérance et de bêtise. Cela n'a rien à voir avec une religion quelconque, c'est simplement un groupe qui souhaite asseoir son pouvoir par la force et le maintenir par l'abêtissement des populations qui lui seraient asservies.
Nous mettons donc en garde solennellement toute tentative d'amalgame qui pourrait être réalisée, toute condamnation hâtive de telle minorité de la population ou d'êtres humains comme étant "responsables." Réaliser un tel raccourci d'idée est exactement l'objectif de ce groupe, tentant d'instiller la crainte dans nos cœurs et la bêtise dans nos têtes. Il faut répondre à leurs atteintes, chacun à notre niveau, par plus de dialogue, de culture, de lecture et tenter de comprendre comment des personnes peuvent finir par haïr d'autres êtres humains au point de les massacrer et de haïr eux-mêmes leur propre vie au point de la supprimer. Nous avons probablement une responsabilité collective à cette haine apparue dans le cœur d'hommes, qui peuvent être français, pour qu'ils tournent des armes contre des autres hommes, même citoyens de leurs propres pays.
Parce que notre métier d'éditeur est celui de propager la culture, nous avons ouvert un espace de libre expression à nos auteurs en leur indiquant qu'ils pouvaient l'utiliser comme bon leur semble : l'Atrium. Deux auteurs ont naturellement et immédiatement réagi en utilisant cette tribune mise à leur disposition. Il y a des émotions et de la réflexion dans leur texte, chacun l'exprimant à sa manière.
Pourriture(s) de Camille Eelen
Sans nom, sang visage de Jean-François Joubert
Nous sommes fiers de nos auteurs qui renouent ainsi avec la grande tradition française des intellectuels. Loin des amalgames, leurs écrits survolent les évènements et incitent, que ce soit directement ou indirectement, à plus de culture et de tolérance. C'est le monde dans lequel nous voulons vivre. C'est un monde dans lequel tout le monde devrait vouloir vivre. Ceux qui marchent à rebours d'un tel projet de civilisation ne doivent pas être montrés du doigt, même si la colère, les émotions et la peur peuvent nous y conduire naturellement... Non, ils doivent être accompagnés pour leur expliquer tout l'obscurantisme et l'impasse de leur projet de société, tenter de comprendre comment ils ont pu en arriver à de tels raisonnements absurdes afin de les aider à en sortir et apprendre à nos enfants, les acteurs du monde de demain, à ne pas basculer dans de telles extrémités.
« Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester les yeux ronds... Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde » (La résistible ascension d'Arturo Ui, Bertolt Brecht).
L'équipe